La résilience des communautés face à la montée de la criminalité et de la violence

Avec ses forêts tropicales luxuriantes, ses mangroves et ses plages bordées de palmiers, la province d’Esmeraldas, située à l'extrême nord-ouest de l'Équateur, fait penser à une destination de vacances tropicales dans les Caraïbes.

La province d'Esmeraldas compte 45% de personnes d'ascendance africaine, la plus forte proportion en Équateur. Cet héritage africain imprègne chaque aspect de la culture dans cette province, des rythmes du marimba aux recettes culinaires fraîches comme l'encocado (un ragoût de poisson créole préparé avec du lait de coco), en passant par la convivialité de la population. Mais aussi attrayant soit ce tableau, je ne suis pas ici en vacances.
Le taux de criminalité et de violence a fortement augmenté dans les zones côtières de l'Équateur au cours des derniers mois, notamment à Esmeraldas. Les rapports officiels indiquent que le taux d'homicide a triplé. Les attentats à la voiture piégée, les exécutions et les extorsions, qui sont la marque de fabrique des gangs de trafiquants de drogue, sont en hausse. Les bandes criminelles se battant pour le contrôle des routes de la drogue et des territoires où se font les trafics de drogue. Dans certains quartiers de la capitale de cette province, des frontières invisibles entravent la liberté de mouvement des habitants.
Pour comprendre comment cette flambée spectaculaire de la criminalité compromet la capacité de l'ONU à mettre en œuvre ses programmes sur le terrain, je me suis rendue à Esmeraldas pour aller à la rencontre de plusieurs équipes de l’ONU opérant dans la province et de plusieurs de leurs partenaires.
"Nous savons que les enseignants ont peur d'aller travailler lorsque des gangs les ont menacés ou harcelés, et certains d'entre eux ont abandonné (certaines) écoles", a expliqué mon collègue.
Cette situation est particulièrement préoccupante dans une province où les écoles sont fermées depuis un an et demi à cause de la pandémie et où le taux d'analphabétisme atteint 15 %. Lorsqu’ils ne sont plus scolarisés, les enfants et les adolescents sont plus exposés au risque de tomber dans la consommation de drogues, d’être recruté par des gangs et, pour les filles, de tomber enceintes très jeunes.

Des inquiétudes croissantes face à la hausse des taux de criminalité
La pandémie a exacerbé les vulnérabilités qui existaient déjà à Esmeraldas, et notamment ses niveaux élevés d'extrême pauvreté (des taux deux fois supérieurs à la moyenne nationale) et son taux de chômage, qui est monté en flèche. L'insécurité alimentaire est elle aussi élevée à Esmeraldas, ce qui est surprenant compte tenu du fait que cette province est réputée pour être une "province verte" en raison de sa production agricole et de ses activités de pêche.
La détérioration de la situation sécuritaire préoccupe également les autorités locales. Dans les cantons situés le long de la frontière septentrionale avec la Colombie - une frontière qui a été négligée - des familles ont fui leur domicile pour éviter d’avoir affaire aux groupes criminels qui ont infiltré la région.
Lorsque je me suis rendue à Esmeraldas, le Bureau du médiateur m'a expliqué qu'il existe désormais des zones dans la province où il n'opère plus, ce qui met en péril les droits des groupes de population vulnérables, notamment des réfugiés et des migrants, des populations autochtones, ainsi que des femmes et des filles.
Avec le soutien financier de l'Union européenne, les entités de l’ONU - le HCR, l'OIM, l’UNFPA et l'ONUDC - travaillent avec les autorités nationales et locales pour remédier à ces insuffisances en mettant au point un Système d'alerte et d’intervention précoces qui aide à prévenir et à gérer les crises résultant des violations des droits de l'homme commises à l’encontre des populations, et en renforçant la capacité des institutions à intervenir dans de tels cas.

Plus tard, lorsque je me suis rendue à Casa Marimba, un refuge pour femmes et enfants ayant survécu à des violences domestiques, j'ai rencontré Sabina, une mère de quatre enfants âgée de 32 ans qui a pu échapper à son mari maltraitant et violent. "J'ai essayé de partir à plusieurs reprises, mais le système travaille contre vous. Les autorités ne vous prennent pas au sérieux", m’a-t-elle raconté avec gravité en insistant sur la façon dont elle avait été, au début, découragée de partir et d'engager une action en justice contre son époux.
À Casa Marimba, grâce au soutien de la municipalité, de l’UNFPA, d'ONU-Femmes, du HCR et du PAM, Sabina bénéficie d’un toit, de nourriture, d’un soutien émotionnel et psychologique, ainsi que d'une assistance juridique et sociale. "Je veux faire des études", m’a-t-elle confié. "Je veux montrer à mes enfants que je suis forte".
Malheureusement, Casa Marimba est le seul refuge de la province qui accueille des femmes ayant survécu à des violences domestiques, alors qu'on estime que 68 % des femmes de cette province ont subi une forme ou une autre de violence et que les services qui gèrent le numéro d'urgence local ECU911 reçoivent en moyenne 12 à 16 appels par jour en lien avec des violences sexistes.
Renforcer la mobilisation des populations et de la société civile
J'ai été rassuré de voir qu’à Esmeraldas, la société civile était solide et les responsables locaux résilients malgré l'ampleur des défis à relever.
Lors de mon passage à la "Casa Comunitaria" ("Maison communautaire", en français) du "Quartier du 26 février", j'ai discuté avec des activistes locaux qui travaillent sans relâche pour la défense des groupes à risque.
Qu'ils soient mobilisés pour la défense des personnes handicapées, des personnes migrantes ou réfugiées, des travailleuses et travailleurs du sexe, ou des personnes LGBTQ+, ces leaders communautaires s’emploient à combler un vide. "L'union fait la force", m’ont-ils expliqué en me parlant du travail de surveillance, d'autonomisation et de défense des droits de l'homme qu'ils effectuent pour aider à faire appliquer les politiques publiques. Si ce travail est possible, c’est grâce au soutien financier du HCR, de l’UNFPA et de l'UNICEF et aux formations à l’encadrement que ces organismes ont dispensées aux leaders communautaires.
Cette détermination, je l’ai également constatée avec "Mujeres del Sur" ("Femmes du Sud", en français), un réseau de femmes réfugiées et de responsables locales équatoriennes qui s'efforcent de faire reculer la violence de genre et de mettre fin aux campagnes de recrutement des groupes armés. Leur travail, qui est soutenu par l'UNICEF et l’UNFPA, cible les adolescents, garçons et filles, et permet de mettre à leur disposition des espaces sûrs au sein desquels ils/elles peuvent échanger sur la question de la prévention de la violence et sur de nouvelles manières de concevoir la masculinité.

Lorsque je suis allée voir les femmes de l'Unité pédagogique Walter Quiñonez, ces dernières m'ont montré avec fierté le jardin médicinal qu'elles avaient créé avec l’appui du HCR.
"Ce jardin est une bonne chose pour beaucoup de raisons", m’a expliqué Pamela, une réfugiée colombienne. "C'est un endroit sûr et un espace de guérison où nous pouvons oublier les problèmes d'insécurité et de discrimination. Ici, nous nous retrouvons pour parler et nous soutenir mutuellement. Nous apprenons des choses et sauvegardons le savoir de nos ancêtres sur les plantes médicinales. Cela nous aide à garder en vie notre patrimoine et notre culture".
L'établissement scolaire dans lequel se trouve ce jardin est situé dans un secteur exposé aux risques d'inondations et de glissements de terrain. Pour faire face à ces risques, le PNUD va travailler avec des réseaux locaux de partenaires sur la deuxième phase d'un projet expérimental de reboisement destiné à lutter contre les inondations, un projet qui sera complété par des formations et un travail de sensibilisation sur les risques climatiques. Les femmes espèrent que ces initiatives et ces formations, qui se concrétiseront avec l’appui de l’ONU, leur permettront de trouver un emploi, d’avoir des revenus décents et d'assurer la sécurité de leurs familles.
À l'instar de leurs communautés et de la province elle-même, les femmes d'Esmeraldas ont su faire preuve d'une remarquable résilience face aux problèmes liés aux difficultés économiques, à la violence et à l’insécurité, tout en restant chaleureuses et hospitalières.
Leur courage et la détermination des autorités locales et des leaders communautaires me confortent dans ma volonté de travailler avec mes courageux collègues de l’ONU à Esmeraldas.
Malgré les problèmes de sûreté et de sécurité auxquels elle est confrontée en permanence, Esmeraldas reste une province extraordinaire où j'aimerais retourner, et pas uniquement pour le travail.
La version originale de cette note de blog a été écrite en espagnol par Lena Savelli, Coordonnatrice résidente de l’ONU en Équateur. La présente version est une adaptation réalisée avec l’appui éditorial du Bureau des Nations Unies pour la coordination des activités de développement (BCAD). Sa traduction française a également été réalisée par le BCAD.
Pour en savoir plus sur l’action menée par l'ONU en Équateur, consultez le site Ecuador.UN.org.