"Je commence tout juste à vivre" : Deux hommes émigrés au Costa Rica racontent leur histoire
Quand on parle d’émigration, on pense la plupart du temps à ces femmes et hommes adultes productifs à la recherche d’un travail et de perspectives qu'ils n'ont pas pu avoir dans leur pays. Mais comment les personnes âgées, les enfants et les jeunes vivent-ils l’émigration ? Voici deux de ces cas. Et leur histoire montre que la solidarité, le développement durable et les migrations ne font pas de distinction d’âge.
"Un siècle, ce n'est rien. Je commence tout juste à vivre"
Candelario Tellez a les cheveux blancs, les mains fatiguées et un visage rempli d'histoires. Le temps et soleil brûlant du sud du Nicaragua ont laissé des traces profondes sur sa peau, mais chacune de ces traces nous raconte une histoire et nous livre un enseignement.
Candelario a toujours été un homme entreprenant et de conviction. La preuve en est qu'un jour, il a décidé qu'il allait apprendre à lire et à écrire tout seul, alors qu'il n'avait jamais été à l'école.
Comment s’y est-il pris ? Il a commencé à rassembler des recueils de chansons dans les journaux (à partir des rubriques qui publiaient les paroles des chansons les plus populaires au début et au milieu du siècle dernier), puis il a commencé peu à peu à déchiffrer les paroles jusqu'à ce qu'un jour il parvienne à les comprendre. C'est ainsi qu'est née sa passion pour la lecture, une passion dont il est fier aujourd'hui, mais qu'il a dû abandonner à mesure que sa vue s’est détériorée.
Aujourd'hui, Candelario est sur le point d'atteindre un siècle de vie. Il est très fier de ce qu'il est et de ce qu'il a fait : nettoyer les pâturages, ensemencer la terre, fabriquer "le meilleur fromage de tout le Nicaragua" et avoir pris la décision de partir à la recherche d’une vie meilleure à un moment où beaucoup d’autres auraient renoncé.
Il se souvient qu’au moment de traverser la frontière, il avait été pris de peur et d’incertitude : sa femme était morte depuis peu, il se sentait malade et, dans son pays natal, il n'avait pas accès aux soins de santé ni à un travail.
Candelario a pris la décision d'émigrer pour réaliser le dernier souhait de sa femme : aller retrouver une parente éloignée à elle, car, confie-t-il, il n’avait plus aucun parent en vie et les années l’avaient affaibli et rendu malade.
Il est arrivé sans rien à Upala, un canton frontalier du Costa Rica. Aujourd'hui, il a une famille qui l'a accueilli et adopté, de la nourriture, l'accès à des services de santé, une communauté qui l'apprécie et une chose fondamentale : une carte de séjour.
Pour Candelario, le passé est le passé et il faut toujours regarder vers l'avenir. Pourtant, ses yeux se remplissent de nostalgie et de larmes lorsqu'il raconte comment il a perdu le contact avec ses filles il y a plus de 60 ans. Elles étaient parties un jour et avaient pris la route du Salvador. Il avait bien essayé de les retrouver mais n’avait pas eu de chance : il était sans ressources et, des années plus tard, il n’a plus eu aucun moyen de les retrouver. Aujourd’hui, Gladys, Cristina, Naya et Bernarda lui manquent toujours beaucoup et il espère qu’elles sont en vie et en bonne santé.
"Ce que je désire le plus aujourd'hui, c’est que mes filles aillent bien, même si je ne pourrai jamais le savoir. Ce que je voudrais aussi, c’est retrouver au moins partiellement la vue pour pouvoir continuer à lire", nous a-t-il confié, avec un sentiment mêlé de nostalgie et d'espoir.
Ce "grand-père", comme beaucoup l'appellent ici, espère pouvoir continuer à passer des contrôles médicaux pour surmonter ses problèmes de santé et vivre encore de nombreuses années.
"Je suis un rebelle, un idéaliste et je crois en ma propre culture"
Juan Carlos est arrivé au Costa Rica avec ses 8 frères et sœurs et sa mère. Celle-ci devait trouver les moyens de nourrir sa famille, de travailler et d’offrir une éducation à ses enfants.
Juan Carlos se souvient qu’à l'âge de dix ans, il s'était retrouvé du jour au lendemain assis dans une classe d’école au Costa Rica. Cette expérience lui avait semblé normale, ordinaire car, à l’époque, il n'avait aucune idée de ce que voulait dire une frontière.
En fait, il ne s'est jamais senti étranger ici, ou différent des autres. Il a grandi dans sa communauté d'Upala et, dès son plus jeune âge, il s'est intéressé aux questions de développement, de protection de l'environnement et de politique locale.
Juan Carlos, devenu jeune adulte aujourd’hui, se considère comme un rebelle et un idéaliste. Il aspire à consacrer sa vie à la construction d'une communauté plus indépendante qui se soucie de protéger ses rivières et d’offrir des opportunités à celles et ceux qui en ont le plus besoin, pour leur permettre d’avoir une vie meilleure. Il a lui aussi le sentiment qu'il commence tout juste à vivre et qu’il sait à présent exactement ce qu’il veut faire.
Il estime que la communauté devrait faire preuve de plus de solidarité et aider davantage celles et ceux qui veulent créer leur propre entreprise ou mettre en œuvre leur propre projet.
Juan Carlos participe également à des projets de développement communautaire, tout en étant travailleur journalier et en finissant ses études. Il estime qu'il lui suffit de réussir les mathématiques pour obtenir son diplôme de fin d'études secondaires et pouvoir ainsi entrer à l'université.
Contrairement à beaucoup d’autres Centraméricains, il ne veut pas émigrer vers l’Amérique du Nord. Il nous montre du doigt la direction opposée. Il veut connaître l'Amérique du Sud et s'imprégner de sa culture et de son histoire. Il veut comprendre les mouvements sociaux qui ont lutté pour l'égalité et en tirer des enseignements pour pouvoir revenir plus tard et aider de son mieux à la construction d'une communauté plus forte, plus indépendante et plus solidaire.
"Je travaille dur pour ma communauté. J'aide les gens à prendre conscience des problèmes et à trouver leurs propres solutions. Je soutiendrai toujours les habitants d'Upala pour les aider à donner le meilleur d’eux-mêmes et à développer leur potentiel", conclut Juan Carlos avec un regard plein de conviction.
L'État, la communauté et l'ONU au service des personnes
Aura Yamileth López, la maire d'Upala, est aussi une fille d’immigrés. Elle a parfaitement conscience des difficultés et des besoins inhérents à l'intégration des migrants dans son canton. Mais elle connaît aussi les avantages considérables que cela représente.
"Les gens viennent ici parce qu'ils en ont besoin, pas nécessairement parce qu'ils le veulent. Les migrants sont des êtres humains comme vous et moi, qui ont besoin de notre solidarité, mais qui sont aussi prêts à contribuer à la construction d'une communauté meilleure pour toutes et tous.
Le maire nous explique que la pandémie de COVID-19 a généré un impact socio-économique énorme dans la région et que, pour réussir la relance, il est essentiel de considérer la population migrante comme un moteur de développement. "Nous avons trouvé auprès de l'ONU, par le biais de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) et du HCR (Agence des Nations Unies pour les réfugiés), un appui très important qui nous a permis de promouvoir la production, l'aide sociale ainsi que de nombreux projets d’aide aux migrants qui ont des effets bénéfiques sur l’ensemble de la communauté", a-t-elle ajouté.
À travers de l’OIM, l’ONU a apporté son appui à des actions visant à aider les autorités nationales et la communauté à gérer des migrations légales et organisées : accompagnement lors des formalités procédurales, orientation des migrants pour la régularisation de leur situation, aide socio-économique à celles et ceux qui en ont le plus besoin, prévention de la traite et du trafic d'êtres humains, etc.
Dans ce cadre, l'OIM a essentiellement travaillé avec les gouvernements locaux du Costa Rica. Le Centre municipal pour les migrants en est la preuve.
Au cours de l'année passée, le Centre a aidé près de 2.700 personnes, dont 90 % de ressortissants nicaraguayens, à accomplir les formalités procédurales, à trouver un emploi et à régulariser leur situation.
L'OIM a également travaillé avec des institutions publiques au niveau local pour former des agents à la lutte contre le trafic et la traite des personnes, à la lutte contre la violence domestique et à l’utilisation d’outils contribuant à une intégration réussie des migrants au sein de leur communauté d’accueil.
Le représentant de l'OIM a affirmé de son côté que l'OIM serait toujours là pour venir en aide aux migrants, quel que soit leur âge, et pour assurer le renforcement de la cohésion sociale et le développement socio-économique des migrants et de leur communauté d'accueil, de manière que celle-ci parvienne à évoluer dans une culture de paix et de solidarité.
"Pour aider Candelario, Juan Carlos et des milliers d’autres migrants qui ont dû quitter leur pays, nous travaillons main dans la main avec les gouvernements locaux et l'État. Nous plaidons pour des parcours migratoires sûrs, organisés, légaux et dignes qui génèrent des avantages pour toutes et tous, notamment pour les pays concernés. Les femmes et hommes migrants comptent sur l'OIM dans le monde entier pour que personne ne soit laissé pour compte", a déclaré Francisco Furlani, représentant de l'OIM au Costa Rica.
Une étude de l'Organisation internationale du Travail (OIT) et de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) confirme qu'au Costa Rica, environ une personne sur dix est un migrant et souligne que les migrants contribuent à hauteur de 11,9 % à la valeur ajoutée produite dans le pays, un pourcentage supérieur à leur représentation dans la population.
Article produit par l'ONU au Costa Rica. Écrit à l'origine en espagnol par Danilo Mora Díaz, chargé de communication au sein de l’équipe de l'ONU au Costa Rica. Pour en savoir plus, consultez le site https://costarica.un.org/.