"Je n’ai pas l’âge d’être une épouse" : La protestation ignorée d'une enfant burundaise
"Après m'avoir violée, il m'a jetée dehors en me disant que j’étais encore une enfant. C'est la première fois que je parle de ça à quelqu'un. Avant, j'avais peur d’en parler", nous confie Elisabeth*, une adolescente burundaise âgée de 16 ans, dont la vie a basculé il y a quatre ans.
Elisabeth n’a pas eu droit à une enfance heureuse. Elle a très tôt été arrachée à son insouciance d’enfant.
"Il n'y avait rien à manger chez nous", dit-elle.
Alors, quand une femme de son village lui propose de l’emmener en Tanzanie pour y travailler en échange d’un toit et d’un peu de nourriture, Elisabeth n’a pas d’autre choix que d’accepter.
Mais, au lieu de lui offrir un travail, la femme la force à voler des bananes dans les plantations des voisins, la menaçant de la mettre à la porte si jamais elle refusait.
Un jour, alors qu’elle n’avait pas plus de 12 ans, on lui présente un inconnu qui dit vouloir l’épouser.
"Je ne suis pas venue ici pour me marier", proteste l’enfant, mais on lui rit au nez.
"On m'a dit que j’allais devoir passer la nuit dans la maison de cet homme. Quand j'ai refusé, ils m’ont proposé de me faire accompagner par une fille, mais c'était en fait un piège : l'homme a demandé à la fille d'aller lui chercher une bière et, au lieu de revenir, la fille a fermé la porte derrière elle et m’a laissée seule avec lui", raconte Elizabeth.
"J'ai déjà payé ta dot en bières ce soir", lui lance alors l’inconnu. "Je n'ai pas l'âge d'être une épouse", riposte Elisabeth.
"Je me suis débattue et j’ai crié de toutes mes forces, mais personne n'est venu à mon secours. Pourtant, ils pouvaient tout entendre et ils savaient ce qui se passait. Il a fini par me maîtriser. J'avais tout juste 11 ou 12 ans".
Après ce viol, l’enfant change plusieurs fois de foyer et est réduite à accomplir des tâches domestiques en échange de son hébergement.
"Certaines familles ont proposé de me payer 30.000 shillings tanzaniens (12,30 dollars américains) par mois, mais je n’ai jamais reçu cet argent. Chaque fois que je demandais mon dû, on me répondait 'plus tard', 'une autre fois' ou 'Comment crois-tu qu’on paye ta nourriture et ton lit ? C'est déjà de l'argent qu’on te donne’", se souvient Elisabeth.
Un jour, alertée par des voisins bienveillants, Kiwohede, une organisation tanzanienne de protection des enfants victimes de traite soutenue par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), se saisit du cas d’Elisabeth. Celle-ci est hébergée dans un centre dédié géré par l’ONG, le temps pour l’OIM de retrouver la famille de l’enfant. "Sans cette aide, je n’aurais jamais pu retourner chez moi", dit-elle.
Secourir les enfants et retrouver leurs familles
Elisabeth est loin d’être un cas isolé au Burundi, où, selon l’OIM, plus de 1.000 victimes de la traite des êtres humains ont été identifiées et assistées depuis 2017 au Burundi, un pays source pour les enfants soumis au travail forcé et à la traite à des fins d’exploitation sexuelle. Selon le Bureau américain des affaires internationales du travail, les enfants du Burundi sont exploités en Tanzanie pour y travailler dans l’agriculture et les mines d’or, ou comme domestiques. Les filles burundaises sont victimes de traite à l’international et sont notamment emmenées au Kenya, au Rwanda, en Ouganda, en République démocratique du Congo et dans des pays du Moyen-Orient, à des fins d’exploitation sexuelle.
Au Burundi, la traite des personnes se traduit principalement par du travail forcé. Les victimes sont généralement exploitées comme domestiques, obligées à faire des gardes d’enfants, à mendier, ou à travailler dans l'agriculture, l'hôtellerie, ou encore la construction.
De victime à survivante : l’intervention de l’ONU
Le centre qui a aidé Elisabeth s'efforce d'identifier et d'héberger les filles victimes de traite dans l'un des 23 districts et des sept régions où il opère. Des visites en porte-à-porte sont menées en partenariat avec les autorités locales afin de repérer les enfants exploités. Des campagnes sont diffusées sur les radios locales pour sensibiliser la population.
"Les gens nous appellent souvent pour nous signaler des enfants en situation d'exploitation", explique Tuyizere*, un responsable du centre. Les enfants pris en charge bénéficient d’un soutien psychologique et peuvent jouer et pratiquer des activités sportives dans des espaces prévus à cet effet. Des professionnels proposent aux jeunes adolescentes, pour la plupart analphabètes et trop âgées pour être scolarisées, des formations en couture, confection de paniers, cuisine ou fabrication de savon, entre autres. C’est ainsi qu’Elisabeth a pu bénéficier d’une formation en couture.
"J’espère devenir une bonne couturière pour pouvoir m’assumer financièrement", confie Elisabeth.
"Les enfants sont également encouragés à partager leurs connaissances et leurs talents avec d’autres enfants", ajoute Tuyizere.
En complément de l’action de l’OIM, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) - le principal acteur en matière de protection de l’enfance au sein des Nations Unies - contribue lui aussi à la lutte contre la traite des êtres humains au Burundi, en mettant l’accent sur la protection de l’enfance.
Pour l’UNICEF, le trafic et la traite comptent parmi les principales violations des droits des enfants au Burundi. Pour remédier à cela, l’UNICEF a mis en place un réseau de surveillance des droits de l'enfant constitué de 220 sentinelles formées à la surveillance et au signalement des violations des droits de l’enfant dans les 18 provinces du Burundi. Des avocat(e)s formé(e)s par l’UNICEF sont déployé(e)s dans tout le pays pour aider les enfants victimes de traite et de trafic à réclamer justice et encourager la poursuite des auteurs présumés de ces violations.
En tout, plus de 270 enfants victimes de la traite âgés de 8 à 17 ans ont bénéficié des services fournis par des partenaires formés et financés par l'UNICEF au cours des deux dernières années.
Le Burundi intensifie sa lutte contre la traite des personnes
Cet appui direct à l’identification et à la prise en charge des victimes s’inscrit dans le cadre d’un effort plus global de lutte contre la traite des personnes dans le pays.
Grâce au soutien généreux du Royaume des Pays-Bas et de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), l'OIM au Burundi participe en effet à plusieurs initiatives visant à renforcer la capacité du gouvernement à lutter contre la traite. Ces initiatives incluent notamment l'organisation d'activités de sensibilisation de masse dans tout le pays et la formation de fonctionnaires de police, de magistrat(e)s et d’agent(e)s des services d'immigration sur les questions relatives à la traite, à la violence fondée sur le genre et à la protection des personnes au sens large.
Le gouvernement du Burundi joue également un rôle de premier plan dans cet effort. Dans un rapport sur le trafic des personnes publié en juillet 2021, le Département d'État américain a souligné les progrès réalisés par le Burundi en la matière, estimant qu’il fait désormais partie des pays dont les gouvernements ont fait des efforts considérables pour respecter les normes minimales en matière d'élimination de la traite.
Malgré ces progrès, il reste beaucoup à faire dans le pays pour améliorer la prévention de la traite, la protection des personnes et la poursuite des auteurs de la traite. À cette fin, l'OIM et l’UNICEF collaborent avec le gouvernement, notamment en vue d’élaborer un mécanisme national d'orientation qui permette d’identifier et d’orienter les victimes vers les services appropriés.
*Noms d’emprunts utilisés pour protéger l’identité des personnes interviewées.
Adaptation d’un article écrit à l'origine par Lauriane Marie Wolfe, Responsable des médias et de la communication à l'OIM, au Burundi, et publié initialement sur le site de l'OIM au Burundi. Adaptation réalisée par Ahmed Ben Lassoued, du Bureau de la coordination des activités de développement (BCAD).
Pour connaître les résultats de nos activités dans ce domaine et dans d'autres, consultez le dernier rapport en date de la Présidente du Groupe des Nations Unies pour le développement durable sur le BCAD.