Exploiter le potentiel de la technologie pour préserver le patrimoine et les langues autochtones
Uus Yaka Witnxi est une expression qui signifie "N'oublions pas" en nasa yuwe, une langue parlée principalement dans le sud-ouest de la Colombie. En fait, c'est une phrase qui est de plus en plus d’actualité en raison de la disparition du patrimoine linguistique des différents peuples autochtones dans le monde. Les données actuelles indiquent qu'au moins 43 % des langues parlées dans le monde tombent dans l'oubli. Or, les langues autochtones représentent une part importante de ce patrimoine linguistique en voie de disparition.
Aujourd'hui, à l'occasion de la Journée internationale de la langue maternelle, nous mettons en avant une initiative qui vise à maintenir en vie la langue nasa yuwe à l'heure où les nouvelles technologies de l'information et de la communication (TIC) transforment notre manière de communiquer avec les autres.
Selon l'Organisation nationale des indigènes de Colombie (ONIC), il existe 65 langues autochtones dans le pays. Parmi elles, seules trois - dont la langue nasa yuwe - sont parlées par plus de 50.000 personnes, tandis qu'une vingtaine risquent de disparaître dans les prochaines années.
C'est ce danger que Juan Pablo Camayo veut endiguer. En s’appuyant sur les TIC et les nouvelles formes de communication, Juan Pablo espère préserver la langue et le patrimoine nasa yuwe.
Il y a deux ans, avec des communautés autochtones et paysannes et des ex-combattants de l'ancienne guérilla des FARC-EP vivant dans la ville de Caldono, dans le sud-ouest de la Colombie, Juan Pablo a créé un réseau de communication qui devait permettre aux membres de ces groupes, d’une part de se connecter à Internet et, d’autre part, de diffuser des contenus dans leurs langues respectives avec l’objectif d’y intéresser un public plus jeune.
C'est ainsi qu'est né le projet Jxa'h Wejxia Casil (une expression nasa yuwe qui signifie "Le réseau du vent"), dans le but de connecter les zones reculées du village au reste du monde et de créer des contenus propres aux communautés autochtones locales.
Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, qui a contraint les initiateurs du projet à changer leur façon de travailler, la formation à l’utilisation des réseaux s’est faite à distance via des appels et des messages WhatsApp. À l'autre bout du fil se trouvaient les membres d'une organisation colombienne de télécommunications qui a aidé à mener à bien tout le processus d'installation du système et des outils nécessaires pour la création de contenus.
Les initiateurs du projet ont pu s’appuyer sur deux autres partenaires : le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie, lesquels ont financé la phase initiale du projet.
À l’heure actuelle, le projet Jxa'h Wejxia Casil bénéficie à près de 200 familles abonnées au fournisseur d'accès à Internet. L’abonnement, dont le coût fixe s’élève à moins de 10 dollars par mois, permet désormais à des zones rurales isolées d'accéder au réseau de communication mondial, ce qui semblait impensable jusqu’ici.
Maintenant que cette première étape est franchie, Juan Pablo et ses camarades et alliés attaquent la seconde étape de ce grand projet : la conception des premiers contenus en langue nasa yuwe.
Utiliser l'Internet pour préserver le patrimoine (et partager des recettes millénaires)
Le 20 janvier, une émission a eu lieu en direct sur la plateforme Google Meet. Des Tech Walawesx - qui signifie "personnes âgées" en nasa yiwe - ont échangé sur des recettes de soins corporels millénaires. Cette émission est le premier des contenus que les organisateurs espèrent héberger sur Internet. Ils espèrent aussi, ce faisant, attirer les jeunes de leur communauté et montrer au monde ce qu’est la culture autochtone nasa.
Edinson Camayo est l’un de ceux qui fabriquent ces contenus. Passionné lui aussi de communication, il partage les idées de Juan Pablo sur la connectivité et la culture. Avec d'autres membres de la communauté, il réalise les premiers contenus audiovisuels en nasa yuwe, dont une première vidéo entièrement réalisée dans cette langue et intitulée Wetwet Fxihncenxia, que l’on peut traduire par "Médecine et plantes traditionnelles".
Edinson explique que dans le Cauca, on parle dix langues et que parmi ces langues, le nasa yuwe et le namrik, parlé par les Misak, sont les deux seules langues à être reconnues et parlées par un pourcentage conséquent de la population. Les huit autres sont en voie d'extinction.
"Ici, dans cette même région, à quelques kilomètres de chez nous, on parle trois autres langues : le kisxuu, l'ambalo et le totoro. Cependant, très peu de personnes parlent ces dialectes et donc, malheureusement, ils vont bientôt disparaître", regrette-t-il.
On constate d’ailleurs un net recul du nasa yuwe chez les enfants de la région, comme l’explique Edinson. L'initiative engagée par ces promoteurs des langues autochtones intervient donc à un moment crucial pour la sauvegarde des traditions et de la langue maternelle de cette communauté.
"Si vous y réfléchissez bien, tout le contenu auquel ils ont accès aujourd'hui est en espagnol, je veux dire à la télévision, à la radio et sur Internet. Il faut donc créer du contenu dans notre propre langue, sinon [les nouvelles générations] l'oublieront progressivement", ajoute Edinson.
De plus, selon lui, les enfants passent de moins en moins de temps en contact avec leur famille, notamment avec les personnes âgées, ce qui les prive de la possibilité de profiter de ce vecteur essentiel de transmission des savoirs.
C’est pour toutes ces raisons que Juan Pablo, Edinson et leurs partenaires se sont tournés vers les nouvelles technologies pour préserver la langue de leur communauté.
Faire avancer le processus de consolidation de la paix
Des initiatives comme le projet Jxa'h Wejxia Casil sont également essentielles pour renforcer le processus de réconciliation dans les régions précédemment touchées par le conflit armé en Colombie. C'est pourquoi la mission de vérification des Nations Unies en Colombie, qui est chargée de surveiller la mise en œuvre de l'accord de paix en Colombie, soutient étroitement le travail de Juan Pablo et de ses partenaires.
Pour que la mise en place des réseaux prévus dans le cadre du projet Jxa'h Wejxia Casil réussisse, il a aussi fallu compter sur la collaboration de personnes volontaires au sein de la communauté, notamment parmi les anciens guérilleros des FARC-Ep qui vivent dans la région. L'un de ces anciens guérilleros est Heiber Moran. Après 15 ans passés avec les FARC-Ep, Heiber a signé l’accord de paix et est actuellement en train de se réinsérer dans la vie civile du pays. Il vit dans un village proche du centre des opérations de contrôle du Réseau.
Il partage, avec trois autres familles de son village, un point de connexion permanent, où les membres de la communauté et les ex-combattants se rendent pour accéder à Internet. La mise en place initiale de ce relais a été réalisée en collaboration avec Juan Pablo et son équipe. Aujourd’hui, de nouveaux points de connexion sont en train d’être créés.
"Le réseau nous permet de renforcer le processus de rapprochement avec la communauté, car il favorise le travail collaboratif et promeut une coexistence saine avec les personnes comme nous qui ont signé l’accord de paix", explique Heiber.
En un mot, l’objectif du réseau est le suivant : "Uus Yaknxijuk Yaknxissayuk Majimesah jxukate kipunawsucxa", ce qui signifie, en nasa yuwe "S'approprier les moyens technologiques pour promouvoir notre savoir". Mais l’impact de ce réseau sur la communauté va bien au-delà du simple partage d’un savoir.
En 2019, plus de 900 événements ont été organisés pour marquer l'Année internationale des langues autochtones. Objectif : réunir les principales parties prenantes concernées par les langues autochtones et sensibiliser aux moyens de préserver, protéger et promouvoir ces langues.
Alors que la Décennie internationale des langues autochtones (2022-2032) a été lancée, nous vous encourageons à participer aux actions engagées par la communauté internationale partout dans le monde pour la préservation, la revitalisation et la promotion des langues autochtones.
Article écrit à l’origine en espagnol par Daniel Sandoval, Spécialiste de l'information au sein de la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie. Appui fourni sur le terrain par Hada Guay, de la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie. Appui éditorial fourni par Carolina Lorenzo et Michal Shmulovich, du Bureau de la coordination des activités de développement (BCAD). Traduction française réalisée par le BCAD.
Pour en savoir plus sur l’action menée par l'ONU en Colombie, consultez le site Colombia.UN.org.














