Tendance : une mode durable pour le monde post-COVID-19

Dans sa Somalie natale, la créatrice Nimco Adam était surnommée Queen of Tie Dye (en français : la reine de la teinture à la main). Elle passait des heures à plonger les tissus dans des cuves de teintures chimiques avant de s’en servir pour créer ses collections de vêtements. Puis, un jour, elle a perdu l’odorat.
"Je me suis rendu compte qu'en faisait le travail que je faisais, en m’exposant ainsi à tous ces produits chimiques, je me nuisais à moi-même, ainsi qu'à la planète ", a-t-elle déclaré depuis Nairobi, au Kenya, où elle s'est réfugiée depuis que le monde s'est confiné du fait de la pandémie de COVID-19. "Donc, depuis, véritablement, la question de la durabilité est devenue le centre et le combat de ma vie".
Nimco Adam, qui a dessiné pour plus de 55 entreprises de prêt-à-porter, dont le détaillant Forever 21, a abandonné les produits chimiques et les matériaux synthétiques. Elle utilise désormais des textiles africains traditionnels tissés à partir de chanvre, de bambou, ou même d'écorce d'arbres. Ses teintures sont naturelles, extraites de racines, comme le curcuma. Ces changements l'ont placée à l'avant-garde du mouvement de la mode durable.
"En tant que créatrice, il a vraiment été important pour moi de m'arrêter un instant pour regarder ce que je faisais et m'approprier réellement ce que signifie être durable", a-t-elle expliqué. "Et cela signifie utiliser ce que l’on a, payer des salaires équitables et trouver des moyens pour unir nos forces de manière à être collectivement plus intelligents et plus durables dans la façon dont nous concevons et fabriquons."
Pour l'industrie mondiale de la mode, dont la valeur est estimée à 2,5 milliards de dollars par an, faire preuve de plus d’intelligence et recourir à des techniques plus durables pourrait bien être le moyen de se remettre des pertes vertigineuses causées par la COVID-19. Bloomberg news a rapporté, en mai, que les usines de confection du Bangladesh - un important pôle de confection de vêtements - ont vu des commandes d'une valeur de 1,5 milliard de dollars annulées. Dans le même temps, les ventes mondiales dans le secteur de la mode et du luxe ont chuté de 70 % entre mars et avril.
"La question est donc maintenant de savoir comment reconstruire en mieux", s’est exprimé Michael Stanley-Jones, représentant du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) et Co-Secrétaire de l'Alliance des Nations Unies pour une mode durable. "Nous devons identifier les différentes composantes de la filière et les possibilités de limiter les impacts environnementaux et sociaux négatifs de l'industrie de la mode, tout en renforçant les mécanismes de responsabilité et de transparence."
L'Alliance, un groupe composite constitué de plusieurs entités onusiennes et partenaires, dont le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), l'Organisation internationale du Travail (OIT) et le Groupe de la Banque mondiale, apporte depuis mars 2019 son appui à une initiative coordonnée dans le secteur de la mode visant à contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable.
L’Alliance s'adresse aussi bien au secteur privé qu'aux gouvernements et aide les marques à se fixer des objectifs de durabilité, à protéger les travailleurs, en particulier les femmes, à réduire leur production de déchets et à limiter leurs émissions de CO2. Ce dernier point est essentiel : l'industrie de la mode est responsable de 8,1 % des émissions de gaz à effet de serre chaque année.
Une nouvelle façon de faire des affaires
Sissi Chao dirige Remake Hub, une entreprise chinoise qui utilise du plastique recyclé pour fabriquer des vêtements et des biens de consommation. Elle a grandi en voyant un fleuve local être dégradé par la pollution générée par l’activité des usines de confection de ses parents. Elle rêvait de trouver une manière différente de faire à son tour des affaires dans le secteur de la mode.
"Une nuit, j'ai fait un rêve : j'étais dans les nuages, je tenais la planète dans une main et il faisait chaud", se souvient Sissi Chao, qui a lancé l’entreprise Remake Hub en 2018. "Je me suis réveillée et j'ai réalisé que je ne pouvais pas être la deuxième génération de pollueurs et que je devais faire quelque chose de durable qui soit en même temps créatif."
Remake Hub produit des matériaux pour tout, des lunettes aux vêtements en passant par le mobilier de maison. Même les parents de Sissi ont adopté certaines des technologies innovantes qu’elle utilise, accroissant ainsi, au passage, leurs bénéfices.
"Au début, ils étaient horrifiés parce qu'ils pensaient que je ne faisais que ramasser des ordures", se raconte-t-elle. "Maintenant, ils voient ce que je fais comme une solution plutôt que comme de la pollution".
Donner l'exemple
En tant qu'ambassadrice de Fashion for Conservation, la musicienne londonienne Elle L. appelle depuis trois ans à débattre de ces questions dans l'industrie britannique de la mode.
Elle pense que les États devraient imiter la France, qui a adopté en février une loi obligeant les entreprises de l'habillement à respecter plus de 100 dispositions en matière de durabilité, dont l'interdiction de détruire les invendus.
Pour Nkwo Onwuka et sa marque éponyme Nkwo, la durabilité et le recyclage ont été une réponse naturelle à la surabondance de vêtements de seconde main déversés sur les marchés de sa ville natale de Lagos, au Nigéria. À partir des piles de denim arrivées de l'étranger où elles avaient été produites en série, elle a commencé à filer son propre tissu dakala, en associant des techniques traditionnelles comme le perlage à la main à de nouvelles méthodes, pour produire des collections uniques.
"La COVID-19 nous offre l’occasion de reconceptualiser et de "recycler" les créateurs de mode, mais aussi les consommateurs", explique-t-elle. "Cela signifie qu'il faut penser plus petit : ne pas concevoir une collection de 60 pièces, mais plutôt une collection de 16 pièces, par exemple, 16 belles pièces qui peuvent être portées, qui sont fabriquées moyennant moins de déchets par des travailleurs traités équitablement".
Cette tendance est renforcée par une demande croissante des consommateurs - en particulier de la très convoitée génération Z - qui veulent une mode éthique et durable.
"Nous sommes à l'aube d'un réveil massif des consciences [et] d'un mouvement de sensibilisation au pouvoir que nous exerçons en faisant un acte d’achat", explique Elle L. "La mode se situant à la croisée de l'art et de la fonction d’'utilité, elle a le pouvoir et le devoir de créer une belle solution [post-COVID-19] qui aide à ressouder les communautés et à les rendre plus saines, plus fortes et plus artistiques."
Article produit par le PNUE. La version de l’article contenant plus de photos a été publiée à l’origine sur le site du PNUE le 16 juin 2020.














