Au Myanmar, le confinement mis en place en réponse à la COVID-19 révèle la situation précaire de la population LGBTQI
Lorsque le premier cas de COVID-19 a été enregistré au Myanmar, fin mars, des centres de quarantaine ont été mis en place à travers tout le pays. Toute personnes arrivant dans une ville - comme les travailleurs migrants de retour chez eux, par exemple - devait être isolée dans un centre local de quarantaine pendant 21 jours.
L'une des premières personnes à avoir commencé à travailler comme bénévole au centre de quarantaine de la ville de Pyay est Min Min. Comme d'autres centres dans le pays, celui-ci se trouvait dans une école réaménagée à cet effet.
Les quelque 20 bénévoles du centre ont été répartis en deux groupes. Le "cercle extérieur", comme l’appelle Min Min, s'occupait des affaires extérieures, comme la coordination des dons, les achats de nourriture et l'enregistrement des nouveaux arrivants. Les bénévoles du "cercle intérieur" étaient quant à eux chargés de distribuer de la nourriture aux résidents, de sortir les poubelles et de faire le ménage.
Des rôles bien précis attribués à chaque sexe
"Les problèmes que nous avons rencontrés en tant que bénévoles étaient de même nature que ceux que nous aurions rencontrés dans n'importe quel autre centre", raconte Min Min, qui était un bénévole du "cercle intérieur". "Il y avait une pénurie d'équipements de protection individuelle. Les masques N-95 étaient en nombre insuffisant. Les gants devaient être réutilisés".
Mais Min Min craignait de devoir faire face à une autre difficulté : le mépris et le rejet des résidents du centre. Au Myanmar, les règles sont strictes en ce qui concerne le rôle des hommes et des femmes. Or, Min Min est transgenre.
Mais, dit-il, "j’ai eu de la chance parce que tout le monde me connaissait en ville, alors on m’a accepté pour ce que j’étais et ont a accepté que j’apporte mon aide. J’ai côtoyé sans difficulté les résidents du centre et j'ai même pu étendre mon sarong avec ceux des autres hommes".
Au Myanmar, les familles séparent souvent le linge non pas en fonction de sa couleur mais du sexe de celui ou celle qui porte le vêtement en question. En effet, on considère que les sous-vêtements féminins font perdre à l'homme son "aura" ou sa virilité. Le fait que le sarong de Min Min n’ait pas été séparé du linge commun par les autres hommes est une preuve d'acceptation peu communes.
Dans le Myanmar rural et conservateur, Min Min a réussi ce dont les autres personnes LGBTQI (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres queers et intersexuels) ne pouvaient que rêver : il a tenu bon sur la question de son identité. Mais, déplore-t-il, plusieurs bénévoles homosexuels ont été harcelés par des personnes qui n'étaient pas à l'aise avec leur attitude "efféminée".
Stress et rejet
"Lorsque la pandémie a frappé le Myanmar, la communauté LGBTQI a apporté sa contribution à la riposte en allant dans la rue pour distribuer des masques, du gel désinfectant et des brochures d’information", a déclaré Htike Htike de la Fondation Asie, qui est également un militant des droits des LGBTQI. C'est un rôle pédagogique que certains avaient déjà assuré auparavant, en faisant de l’information publique sur le VIH ou d'autres problématiques. "Ils voulaient montrer qu'ils formaient une seule et même société avec les autres".
La consigne qui a été donnée à la population de rester à la maison a été particulièrement dure à supporter pour de nombreux membres de la communauté LGBTQI. Certains vivaient avec leur famille, ou sont partis mais sans avoir nulle part où aller. Si les familles acceptent ces personnes au sien du foyer, c’est souvent largement dû au fait qu’elles ont un revenu stable, mais comme le confinement a fait perdre leur emploi à certaines de ces personnes, celles-ci se sont retrouvées à nouveau confrontées au rejet et au stress.
De nombreuses personnes LGBTQI ont été rejetées par leur famille. Certaines ont trouvé un emploi dans des secteurs comme l’esthétique ou l’art de vivre et ont été acceptées dans ces milieux. Elles ont créé des foyers avec leurs amis ou leurs partenaires. Mais là encore, il y avait danger. "Certaines personnes LGBTQI qui vivent avec leur partenaire ont commencé à subir des violences domestiques", explique Aung Myo Min, le Directeur exécutif de l'ONG Equality Myanmar. "Pour gagner de l’argent, certaines ont cherché à devenir des travailleuses du sexe, bravant le couvre-feu et sortant en douce de chez elles la nuit, pour ensuite être victimes de nouvelles violences ou être harcelées par la police".
Le statut juridique de la communauté LGBTQI est très dur. "Il n'y a rien dans la loi qui protège les personnes LGBTQI", explique Aung. L'article 377 de la loi du Myanmar criminalise les relations homosexuelles. Il n'existe pas de définition du viol qui soit neutre sur le plan du genre dans la loi. Lorsque des cas de violence contre la communauté LGBTQI sont signalés à la police, ils sont ignorés. Les femmes transgenres ne sont pas reconnues comme des femmes. Les hommes transgenres sont également victimes de discrimination, mais ils bénéficient de certaines protections juridiques, car ils sont considérés comme des femmes.
Dans une récente déclaration de la Commission nationale des droits de l'homme du Myanmar, il a été question de la protection des femmes - et seulement des femmes - contre la cyberintimidation. Mais pour les personnes transgenres, bénéficier de ces protections revient à nier leur identité de genre. Certaines personnes transgenres prennent un traitement hormonal, mais celui-ci n'est pas réglementé. Le pays le plus proche où les opérations de changement de sexe sont possibles est la Thaïlande voisine.
Mais la communauté LGBTQI ne se résume pas à ces problèmes.
"Nulle part dans le monde, pas plus qu’ici, au Myanmar, les personnes LGBTQI ne doivent être considérées comme des victimes : elles doivent être considérées comme des moteurs du changement", a déclaré Nicolas Burniat, le Représentant d'ONU Femmes au Myanmar. "Elles jouent un rôle dans la lutte contre la COVID-19. La société ne peut pas se contenter d'accepter leur contribution quand celle-ci l’arrange et oublier la communauté ou lui refuser le droit d’être protégée de la discrimination le reste du temps. Il est primordial que les droits des personnes LGBTQI soient respectés pendant toute la durée de cette crise et au-delà et que leurs besoins soient pris en compte dans les efforts de lutte contre la COVID-19".
Le combat continue
ONU Femmes travaille avec le FNUAP, l'ONUSIDA et d'autres entités de l’ONU, ainsi qu'avec des organisations locales au Myanmar, pour soutenir la communauté LGBTQI du pays - notamment parce que la COVID-19 a bouleversé la vie quotidienne. Avec un peu plus de 300 cas de COVID-19 enregistrés et un nombre très limité de décès, le Myanmar s'en est relativement bien sorti, en grande partie grâce à la quarantaine stricte à laquelle plus de 30.000 personnes ont été soumises dans tout le pays. Le centre où travaillait Min Min, comme beaucoup d'autres, a fermé ses portes. Mais le combat continue.
"L'ONU est là pour soutenir la communauté LGBTQI", insiste M. Burniat. Parfois, le soutien de l'ONU est symbolique. Ce fut le cas par exemple lorsque l’Organisation a fait flotter le drapeau arc-en-ciel à l’occasion de la Journée internationale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie. D'autres fois, il est concret, comme lorsque différentes entités de l’ONU mettent en œuvre des actions coordonnées pour la défense des droits des personnes LGBTQI. Ainsi, par exemple, une conférence en ligne parrainée par l’ONU a récemment réuni des organisations préoccupées par le traitement réservé aux droits de l'homme depuis le début de la pandémie et Min Min, avec d'autres militants, a pris la parole à cette occasion.
"La COVID-19 ne fait aucune distinction de race, de religion, de genre ou de sexualité", a rappelé Min Min. "Je me suis porté volontaire parce que c'était mon devoir d’être humain. Tout ce que je demande c’est que nous soyons traités comme les autres par la société".
Récit produit par l'ONU au Myanmar. Écrit par Aye Win. Publié à l’origine en anglais sur le site web d'ONU Info le 11 juillet 2020. Traduit en français par le Bureau de la coordination des activités de développement (BCAD).