Indonésie : Qu’est-ce qui empêche la ville de Bandar Lampung de se mettre au vert ?
La production de déchets est directement liée à l'urbanisation. Avec une population de près d'un million d'habitants, Bandar Lampung, une ville située à l'extrémité sud de l'île de Sumatra, en Indonésie, a généré 800 tonnes de déchets solides par jour en 2017. La ville se débarrasse de ses déchets dans une décharge à ciel ouvert - l’unique décharge de la ville, la décharge de Bakung - de sorte que la gestion des déchets dans la ville dépend fortement des capacités de stockage de cette décharge.
Les employés qui y travaillent indiquent qu'ils ne sont en capacité de collecter que 68 % des déchets de la ville. Alors, si l'on ne change pas le système actuel de gestion des déchets, la décharge continuera à s'étendre et posera des risques environnementaux et sanitaires dans les zones environnantes et au-delà.
Une approche différente pour traiter la question de la gestion des déchets
Pour relever ces défis complexes, nous savions que nous devions adopter une approche intégrée pour pouvoir résoudre les problèmes liés à la gestion des déchets sous différents angles. Nous avons donc invité un groupe de 30 personnes issues d’agences gouvernementales, d’organisations non gouvernementales, d’universités et d’associations locales de bénévoles à se réunir pour discuter des problèmes que pose la gestion des déchets à Bandar Lampung et qui empêchaient la ville de devenir plus propre.
Nous avons appris qu'en Indonésie, la gestion des déchets est réglementée par deux lois sur la protection et la gestion de l'environnement. La première réglementation prévoit que le gouvernement doit faire un travail de sensibilisation de la population, rend obligatoire pour les ménages la réduction et la gestion des déchets qu’ils produisent et oblige les fabricants à étiqueter leurs produits et à gérer l’élimination des produits en fin de vie. Ces lois prévoient également des incitations à la mise en œuvre de la règle des trois R (réduire, réutiliser, recycler). L’administration de la ville de Bandar Lampung nous a demandé - c’est-à-dire a demandé au PNUD, à l'UNICEF et au Programme des Volontaires des Nations Unies (VNU) - de centrer nos efforts sur la gestion des déchets produits par la ville.
Nous avons donc mené une étude de terrain d’une durée de huit semaines pour être en mesure de sélectionner des partenaires locaux, identifier un lieu pour tester les prototypes issus de notre projet et déterminer des groupes cibles. Nous avons axé notre travail sur le district de Rajabasa (Kecamatan Rajabasa en indonésien), où nous avons constaté que des agriculteurs urbains - dont le mode de vie est similaire à celui des habitants des zones rurales - vivent dans les mêmes quartiers que les citadins, c’est-à-dire que les étudiants, les professeurs, les ouvriers, les restaurateurs, etc. Nous avons alors vu là l'occasion d'induire de petits changements dans la gestion des déchets et de produire un impact sur différentes catégories de citadins.
Mettre les mains dans le cambouis
Pour identifier des solutions novatrices qui permettent de sensibiliser la population, de réduire la quantité de déchets produits par habitant et de soutenir les efforts de recyclage déployés par la ville, nous avons organisé un atelier de conception centré sur l'humain d’une durée trois jours. Nous avons divisé le groupe de participants qui étaient déjà impliqués dans des initiatives portant sur la gestion des déchets en cinq équipes et nous avons confié la conduite d’un projet spécifique à chacune des équipes.
L’atelier a été animé par Mirum Agency, une agence de "design d’expérience" spécialisée dans l'innovation et la conception centrée sur l'humain. Objectif de l’atelier : développer des prototypes susceptibles de devenir des moteurs de changement dans la gestion des déchets à Bandar Lampung.
Pour améliorer la viabilité des solutions de collecte des déchets en borne d'apport volontaire, par exemple, une des équipes a travaillé sur un prototype permettant de développer un système à points pour inciter les citoyens à venir déposer leurs objets recyclables dans les bornes de collecte de déchets en leur offrant des avantages. Ce système offrait une alternative originale au dispositif de subventions gouvernementales en place. L’équipe a fait une première évaluation de l’introduction de l’application SMASH en termes de réduction du coût de l'information et des transactions, puis a élaboré un système par points. Elle a ensuite pris connaissance des commentaires envoyés par les utilisateurs, parmi lesquels on pouvait lire : 1) concevoir une meilleure interface utilisateur qui soit accessible et qui prenne en compte les besoins des personnes âgées qui utiliseraient ce service, ou 2) ajouter des fonctionnalités à l'application pour s’assurer de l’applicabilité du service sur le terrain (i.e. types de produits/d’articles affichés).
Une des autres équipes a mis au point un prototype axé sur la promotion d’une consommation responsable et d’une gestion des déchets dans les écoles. Objectif : informer le public et le sensibiliser aux avantages du système des 3R (réduire, réutiliser, recycler) de manière à changer les mentalités et les comportements. L'équipe a testé son prototype dans deux écoles pour évaluer le niveau de mobilisation et l'intérêt des élèves. Baptisé "Journée annuelle de la chasse aux déchets", le système testé consistait à organiser, chaque jour, à l’échelle de l’école, des activités et des concours de recyclage, notamment de bouteilles en plastique et d’emballages alimentaires. Les élèves ont apprécié l’exercice de simulation organisé dans le cadre de l’expérimentation et nous avons pu constater, à travers les activités ludiques et stimulantes que nous avons organisées, qu’ils participaient activement à la promotion de pratiques responsables en matière de gestion des déchets.
Des pratiques de la gestion des déchets basées sur une approche comportementale
Dans le cadre d’une collaboration avec l'Université de Lampung, nous avons fait équipe avec treize étudiants de première et de terminale pour comprendre les tendances qui prévalaient dans le district de Rajabasa. Avec l'aide de partenaires locaux, nous sommes allés à la rencontre de petites et de grandes entreprises, ainsi que de ménages, d'étudiants de l'université et d'élèves de l’enseignement primaire pour recueillir des informations dans le cadre d’enquêtes de perception et mener des entretiens approfondis à Rajabasa. Nous avons recueilli près de 700 retours dans le cadre de nos enquêtes de perception et nous avons mené des entretiens approfondis et cartographié le modèle économique sur lequel se basait la collecte des déchets en borne d'apport volontaire à Bandar Lampung.
Nos recherches nous ont permis de découvrir que 59 % des personnes interrogées savent comment recycler, mais que seulement 35 % des personnes interrogées recyclent effectivement leurs déchets. Nous avons également appris qu'une partie importante de la population est consciente qu'elle devrait faire plus d’efforts pour consommer de manière responsable et augmenter le taux de recyclage des déchets dans la ville.
Nous avons également recueilli des données quantitatives et qualitatives auprès des fondateurs, des gestionnaires et des utilisateurs de différents dispositifs mis en place dans la ville pour la collecte des déchets en borne. Notre objectif : mieux comprendre comment fonctionnent les dispositifs existants à Bandar Lampung. Nous avons collaboré avec la start-up à l’origine de SMASH, une application web et mobile utilisée à l’échelle du pays pour gérer des bornes de collecte des déchets, afin d'obtenir des données en temps réel sur le nombre de bornes enregistrées, de transactions effectuées et de matériaux recyclables collectés.
La base de données que nous avons ainsi constituée nous a permis de comparer la performance des bornes de collecte des déchets de Bandar Lampung avec celles installées dans toute l'Indonésie. Le taux de transaction enregistré au niveau des bornes de la ville est actuellement inférieur à un pour cent.
Même si le tri des déchets n'est pas une pratique courante dans le pays, le gouvernement multiplie les efforts pour arriver à réduire la quantité de déchets sur la base des objectifs fixés dans le Plan national de développement à moyen terme pour 2015-2019. Il mise essentiellement, à cet égard, sur une responsabilisation accrue des fabricants, sur le système des 3R et sur l’augmentation du nombre de centres de recyclage, notamment des bornes de collecte des déchets, et ce dans le but de promouvoir le tri des déchets à la source.
Les entretiens approfondis que nous avons réalisés nous ont en outre permis d'identifier des carences et des constantes au niveau des comportements et des habitudes sociales et de préciser la nature exacte de ces carences et de ces constantes qui, autrement, n'auraient pas été prises en compte. Le personnel de nettoyage de l'Université de Lampung nous a par exemple expliqué que malgré l'existence de poubelles de recyclage spéciales installées sur le campus, les étudiants et les professeurs ne les utilisent pas pour trier leurs déchets.
De même, un opérateur de bornes de collecte de déchets en ville nous a confié que les gens ont tendance à ne pas aller déposer leurs produits recyclables aux bornes de collecte en raison d’une forme de stigmatisation sociale envers les personnes qui recyclent leurs déchets. Les gens, en effet, ne veulent pas être vus en train de porter des sacs poubelles, de peur que les autres ne les prennent pour des "ramasseurs d'ordures". En Indonésie, la plupart des ramasseurs d'ordures sont sans papiers et leur statut socio-économique est considéré par la société comme étant inférieur aux autres.
Premiers signes de changement
Notre démarche a produit ses premiers fruits. L'Université de Lampung a consacré un budget spécial à la réalisation d’une campagne mieux adaptée et plus ambitieuse de sensibilisation au tri des déchets pour l'année prochaine. Elle entend rendre son campus entièrement écologique et créer un centre de recyclage à part entière dans un avenir proche. Dans ces conditions, la mise en place du prototype que nous avons développé devrait permettre de changer dans une très large mesure les habitudes du personnel universitaire et des étudiants en termes de réduction des déchets.
Notre plan d’action à long terme consiste à mobiliser des ressources pour reproduire le prototype développé pour Bandar Lampung et l’étendre à différents quartiers de la ville en vue de mettre en place des dispositifs de gestion locale des déchets. Nous souhaitons également aider d'autres administrations municipales à aligner leurs pratiques de gestion des déchets sur les priorités nationales en la matière par la mise en place de sites et de mécanismes locaux de gestion des déchets.
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