Pour plus de femmes aux avant-postes dans les pourparlers de paix, les négociations commerciales et les conseils d'administration
Texte Introductif de la Vice-Secrétaire générale Amina J. Mohammed
Il est difficile d'imaginer qu'en 2020, on parle encore de femmes pionnières dans des secteurs d’activité séculaires comme la banque ou la finance, ou bien de "premières" femmes à rejoindre des conseils d'administration ou à diriger des entreprises, alors qu’on devrait considérer comme normal le fait que le monde profite de la féminisation des postes de direction.
Dans son récent discours sur les femmes et le pouvoir, Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations Unies et féministe en chef, a souligné que le monde avait besoin de voir plus de femmes aux avant-postes dans les pourparlers de paix, les négociations commerciales et les réunions de conseils.
Lorsque les femmes se font entendre dans les espaces autrefois dominés par les hommes, elles transforment ces espaces, en apportant de nouveaux points de vue, en corrigeant les angles morts et en améliorant, en fin de compte, la prise de décision.
Il faudra que des femmes et des hommes se mobilisent pour que cela devienne une réalité. Car quiconque a le privilège d’être présent dans l’une de ces assemblées a la responsabilité de faire de la place pour la parité.
Nous sommes à quelques jours de la célébration de la Journée internationale de la femme et je suis très heureuse que Kristalina Georgieva, la Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) et Louise Levonian, la Directrice exécutive du FMI, nous disent quels sont leurs projets en matière de parité.
Par Kristalina Georgieva et Louise Levonian
"Où sont toutes les femmes ?" C'est une question que nous ne devrions pas avoir à nous poser en 2020. Pourtant, nous nous la posons. Pourquoi ? Parce que, partout dans le monde, il y a tout simplement trop peu de femmes à des postes de direction. À la veille de la Journée internationale de la femme et à l'approche du 100ème anniversaire de l'obtention du droit de vote par les femmes aux États-Unis, il est temps d’aborder ce problème.
Les études menées par les services du FMI sur un large éventail de questions montrent clairement les avantages économiques de la promotion des politiques d'égalité entre les sexes. En résumé, dans un pays donné, la hausse du nombre de femmes dans la population active à des postes plus élevés est une bonne nouvelle pour les femmes, une bonne nouvelle pour les entreprises et une bonne nouvelle pour l'économie du pays.
Malgré certains progrès, d'importants écarts entre les sexes persistent en matière d'emploi et de rémunération. Par exemple, le taux moyen de participation des femmes au marché du travail dans le monde est inférieur de 20 points (de pourcentage) à celui des hommes. En outre, dans l’ensemble des pays, en moyenne, les femmes ne jouissent que des trois quarts des droits accordés par la loi aux hommes, lorsqu’il est question de propriété, par exemple, d'héritage, ou de l'ouverture d'un compte bancaire.
Par ailleurs, même si pour cinq économies avancées, l’écart entre les sexes est de 5 points ou moins, l'écart moyen pour les économies avancées reste de 10 points.
Mis bout à bout, ces déséquilibres ne coûtent pas seulement cher à la société sous la forme d'une baisse de la productivité et d'un manque à gagner en termes de croissance économique ; ils privent également les femmes de leur autonomie économique et d’opportunités pour occuper des poses de direction.
Plus de femmes au sommet
Observez le système financier. Les femmes y sont absentes à tous les niveaux : de la population des épargnants à la population des emprunteurs, en passant par les conseils d'administration des banques ou les instances régulatrices. Les femmes représentent également moins de 2% du nombre de directeurs généraux d’institutions financières et moins de 20 % des membres des conseils d'administration.
De plus en plus d'éléments indiquent cependant que la réduction de l'écart entre les sexes au niveau des postes de direction porte ses fruits.
Dans une précédente publication, les services du FMI ont constaté que les banques comptant une proportion plus élevée de femmes au sein de leur conseil d'administration jouissaient de réserves de capitaux plus importantes, d'une proportion plus faible de prêts non productifs et d'une meilleure résistance aux tensions financières.
Les services du FMI ont observé la même corrélation entre la stabilité des banques et la présence de femmes dans les conseils de régulation bancaire.
Une autre étude réalisée par le FMI - portant sur deux millions d'entreprises dans 34 pays d'Europe - montre qu’une meilleure parité des sexes aux postes de direction est associée à une meilleure rentabilité des entreprises. Plus précisément, cette étude a montré qu'avoir une femme en plus à un poste de direction ou au conseil d'administration d'une entreprise est associé à un rendement des actifs supérieur de 8 à 13 points de base.
Ces résultats démontrent les effets bénéfiques de l’expression d’une plus grande diversité de points de vue au sein des conseils d'administration. Cette diversité élargit en effet l'éventail des perspectives et améliore la qualité de la prise de décision et des discussions, ce qui se traduit par de meilleurs résultats pour les entreprises.
Intensifier les efforts pour accélérer les progrès
Pourtant, seules 18 % des entreprises dans le monde sont dirigées par des femmes et, en moyenne, seuls 22 % des membres des conseils d'administration des pays de l'OCDE sont des femmes. La représentation des femmes est encore plus faible dans les économies émergentes, comme en Inde (13 %), ou au Brésil (8 %). Le moins que l'on puisse dire, c'est que les progrès sont lents.
Au FMI, nous essayons d’appliquer nos propres recommandations. À l'heure actuelle, plus de 30 % des cadres supérieurs sont des femmes et 35 % des directeurs de département sont des femmes.
Nous continuons également à promouvoir la diversité des sexes au sein de notre Conseil d'administration. Si la représentation des femmes a globalement augmenté au cours des 14 dernières années - les femmes étant plus nombreuses à occuper des postes de conseillères et de conseillères principales -, la proportion de femmes directrices exécutives a fluctué entre 4 et 9 %.
Actuellement, les femmes occupent 3 des 24 postes d'administrateurs et trois des 30 postes d'administrateurs suppléants, la représentation totale étant de 9 % pour l’année 2019.
Plus de femmes au conseil d'administration du FMI, c'est plus de points de vue divers à la table des négociations pour relever les grands défis auxquels le monde est confronté aujourd'hui - tels que le changement climatique, les inégalités et l'inclusion sociale - en élaborant des solutions innovantes pour nos 189 pays membres.
Cette évolution peut également améliorer la performance et l'efficacité des institutions. En effet, des études antérieures ont montré que lorsque les entreprises investissent davantage dans la parité des sexes, elles ont tendance à recevoir des dividendes plus élevés en lien avec leur excellence organisationnelle - notamment avec leur performance en matière de leadership, de direction, de responsabilité et de valeurs – que les dividendes que reçoivent les entreprises qui ne promeuvent pas cette diversité.
Ceci nous amène à nous interroger sur la raison pour laquelle notre question initiale, à savoir "Pourquoi y a-t-il si peu de femmes dirigeantes ?", s'applique au Conseil d'administration du FMI lui-même. Pour y répondre, nous prévoyons de mener les actions suivantes :
- Sensibiliser les gouvernements des pays membres à l'importance d'envisager la nomination d’un plus grand nombre de femmes à des postes d'administratrices et d'administratrices suppléantes, et de les sélectionner à cet effet.
- Examiner les moyens par lesquels le Fonds, en tant qu'institution, pourrait réduire les obstacles à la diversité des genres au sein du Conseil d'administration.
- Proposer aux femmes membres du personnel des activités de mise en réseau afin qu'elles puissent se rencontrer, partager leurs expériences et accompagner ainsi de manière informelle le parcours d'autres femmes au sein du FMI.
Alors que nous célébrons la Journée internationale de la femme et les réalisations des femmes du monde entier, nous devons nous rappeler que l'intégration des femmes dans l'économie mondiale passe par l'action. Nous pouvons aller plus loin et faire davantage d’efforts. La prochaine fois que quelqu'un se demandera : "Où sont toutes les femmes ?", je crois que nous pourrons lui répondre fièrement : "Dans la salle du Conseil".
Autres lectures intéressantes
Dans son livre Invisible Women (traduction littérale en français: "Femme invisible"), Caroline Criado-Perez écrit que nous vivons dans un monde qui est en grande partie conçu pour les hommes. Dans ce livre, on reconnaît aisément les scénarios mis en avant et retrouvons les écarts chiffrés que nous devons combler.
Blog publié à l'origine en anglais sur la page Medium de la Vice-Secrétaire générale Amina J. Mohammed, ici. Traduit en français par le Bureau de la coordination des activités de développement (BCAD).