Enrayer le risque de famine

Les gens ont désespérément besoin de raconter leur histoire
"J'ai récemment remonté la côte ouest du Yémen, le long d'une étroite bande de terre située entre les lignes de front, pour essayer d’aller à la rencontre des familles qui n'ont pas vraiment pu bénéficier d’une aide humanitaire. Les habitants de ces régions avaient désespérément besoin de nous raconter leur histoire.
En règle générale, ce sont les mères qui ont envie de vous raconter comment elles se battent pour inscrire leurs enfants à l’école, pour se procurer de l'eau, de la nourriture, ou avoir accès à l’hôpital. Elles vous lancent un appel à l'aide, un appel auquel nous devons répondre.
Dans une des localités que nous avons visitées, nous avons vu une école qui avait été détruite par une attaque au mortier. La zone était infestée de mines terrestres, de sorte que les récoltes ne pouvaient pas être faites. L'eau potable et l’aide médicale se trouvaient de l'autre côté de la ligne de front et les gens se sentaient pris au piège de tous les côtés.
Nous entendons sans cesse ce genre d'histoires et, tous les deux ou trois jours, je prends connaissance de rapports qui font état d'une nouvelle blessure causée par une mine terrestre ou un engin non explosé ; et la victime, généralement, est un enfant.
Un déficit colossal dans le financement de l’aide d'urgence

Nous avons heureusement été en mesure de recueillir suffisamment de fonds, en particulier entre les mois d’avril et juin, pour enrayer le risque de famine, mais tout cela est fragile et les efforts doivent se poursuivre.
Nous avons reçu environ 2,1 milliards de dollars jusqu'à présent et, la semaine dernière, nous avons recueilli de nouvelles promesses de dons pour un montant d'environ 600 millions de dollars. Cela nous permet de nous rapprocher de notre objectif, mais nous sommes encore loin du compte.
Le déficit de financement de l’aide est colossal dans plusieurs domaines : santé, éducation, approvisionnement en eau, assainissement, appui aux opérations d'élimination des mines terrestres et des munitions non explosées. Dans ces domaines, le taux de sous-financement atteint entre 80 et 85 %.
Nous avons pu secourir les enfants menacés de malnutrition, mais ces interventions doivent continuer à être financées jusqu'à la fin de l’année. Et nous devons commencer à nous préparer à solliciter les fonds dont nous avons besoin pour l'année qui vient.
La situation est déjà très difficile, mais la pandémie de COVID-19 a compliqué encore les choses. Je me suis rendu dans de nombreux hôpitaux sur le terrain et j'ai pu constater à quel point ils étaient débordés. Comme les cliniques ne fonctionnent plus en dehors des capitales provinciales, les places manquent et les lits sont déjà tous occupés. Certaines mères ont été refoulées et se sont entendu dire qu’elles devaient se rendre dans une autre province.
La COVID-19 n’a fait donc qu’aggraver le problème, sans compter tout le reste et notamment les nombreuses autres maladies qui touchent le peuple yéménite.
L'ONU peut changer les choses
Il y a trois choses que nous devons vraiment faire au Yémen aujourd’hui. La première est de poursuivre la réponse humanitaire et d'empêcher que les gens ne tombent dans la famine ou la malnutrition aiguë.
La deuxième est de prendre du recul et de comprendre pourquoi cette catastrophe humanitaire a lieu. Cette catastrophe est bien sûr liée à la guerre, mais cette guerre a détruit l'économie et la plupart des gens ont perdu leur emploi, si bien qu’ils n'ont pas les moyens de s’acheter de la nourriture. Alors, même en plein conflit, nous devons adopter une approche plus économique pour compléter le travail que nous faisons sur le plan humanitaire : nous devons trouver des moyens pour débloquer l’activité économique et aider les entreprises à démarrer partout où c’est possible pour qu’elles créent des emplois et que les familles, grâce à leurs revenus, puissent s’acheter leur propre nourriture.
Et, bien sûr, le troisième élément dont nous avons besoin est une solution politique qui mette fin à ce conflit. Néanmoins, nous n'avons pas besoin d'attendre un règlement politique du conflit pour commencer à agir sur le plan économique. Nous pouvons déjà faire beaucoup, dès maintenant, si nous parvenons à mobiliser la volonté des politiques.
Tout ceci finira par prendre fin un jour. Ces choses-là finissent toujours par prendre fin. Ma plus grande crainte à l'heure actuelle est que ce conflit s'éternise. J'ai travaillé dans d'autres pays où ce genre de situation dure depuis 20 ou 25 ans. Ces pays-là subissent des transformations si profondes qu'ils ne peuvent plus revenir aux normes sociales et au niveau de développement qu’ils avaient auparavant.
J'ai accepté ce poste parce que je pense que nous pouvons vraiment changer les choses, mais il est temps que ce conflit prenne fin. Il faut qu’il prenne fin avant qu’une génération entière de jeunes qui n’auront connu que la guerre soit sacrifiée."
David Gressly a été interviewé par Melissa Fleming, la Secrétaire générale adjointe des Nations Unies à la communication globale, dans le cadre du récent podcast de l’émission "Awake At Night" (traduction littérale en français : "Éveillés la nuit", ou "Nuit blanche"). Pour en savoir plus, consultez l’épisode récent intitulé They Want Me to Tell Their Story (en français : "Ils veulent que je raconte leur histoire").
Article écrit par David Gressly, Coordonnateur résident et humanitaire au Yémen. Publié à l’origine en anglais sur le site d’ONU Info. Pour en savoir plus sur l’action de l’ONU au Yémen, consultez le site Yemen.UN.org.
Pour en savoir plus sur le système redynamisé des coordonnatrices et coordonnateurs résidents des Nations Unies, veuillez consulter la section dédiée du dernier Rapport de la Présidente du Groupe des Nations Unies pour le développement durable sur le BCAD.















