Le visage féminin de la crise climatique en Afrique australe
La crise climatique mondiale n’affecte pas les femmes et les hommes de la même manière. Partout dans le monde, les femmes et les filles sont les premières exposées aux dangers de l'évolution des conditions climatiques et elles en subissent les coûts et les conséquences de manière bien plus importante que les hommes et les garçons.
Dans neuf pays d’Afrique australe, quelque 12 millions de personnes sont actuellement confrontées à une grave insécurité alimentaire en raison de la sécheresse, des cyclones et des inondations.
Cependant, ce sont les femmes et les filles qui sont particulièrement touchées. Elles sont en effet plus susceptibles que les hommes de vivre déjà dans la pauvreté ; elles n'ont pas accès aux terres alors qu'elles sont majoritaires dans les activités de production alimentaire ; et elles doivent supporter le poids des soins à apporter aux membres de leur famille en difficulté.
Cette crise climatique remet également en cause le droit fondamental des femmes à vivre en sécurité et à être protégées. Elle aggrave les normes de genre problématiques - et dangereuses - qui génèrent des risques accrus de violence pour les femmes et les filles.
Alors, que faire ?
Pour commencer, toute action humanitaire doit répondre aux besoins et aux priorités spécifiques des femmes et des filles. Il faut plus de ressources pour financer la prévention de la violence sexuelle et de genre et les interventions de soutien aux survivantes. Dans le même temps, la réalisation d’investissements dans l'atténuation des effets du changement climatique et l'adaptation à celui-ci doit être inclusive par la prise en compte de la dimension de genre.
L’avenir de millions de filles et de femmes est menacé
Dans toute la région, des filles abandonnent l'école pour aider leur famille à se procurer de la nourriture, s'occuper de leurs frères et sœurs, ou gagner de l'argent. En Zambie, les taux d'abandon scolaire sont si élevés dans les districts touchés par la sécheresse que des dizaines d'écoles primaires ont fermé leurs portes.
Les femmes et les filles ont en outre de plus en plus recours à des mécanismes d'adaptation extrêmes, notamment à des rapports sexuels monnayés, pour aider leur famille à subvenir à ses besoins. Et si les familles ne trouvent aucun autre moyen de s'en sortir, elles marient parfois leurs filles en échange d'argent, de biens ou de nourriture.
Le personnel de l'OCHA, l'organisme de coordination de l'aide d'urgence des Nations Unies, est récemment allé à la rencontre de femmes dans le sud de l'Angola, à la frontière avec la Namibie, pour voir de quelle manière elles faisaient face au problème de la sécheresse.
Une femme, Maria do Ceu, dont le mari est éleveur, a déclaré que l’épisode de sécheresse actuel est le pire qu'elle ait jamais connu. La plupart des bêtes du troupeau de sa famille sont mortes avant d'avoir pu s’abreuver et ses filles ont dû abandonner l'école. Trop faibles et affamées pour s’y rendre, elles passent désormais toute la journée à collecter de l'eau et à ramasser des fruits sauvages pour survivre. Elles parcourent chaque jour de si longues distances que Maria craint pour leur sécurité, notamment qu’elles se fassent agresser sexuellement.
Au Mozambique, après le passage des cyclones Idai et Kenneth, le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) a mené des évaluations qui ont révélé des risques d’insécurité accrus, notamment de violence contre les femmes et les filles. De nombreuses femmes s’étaient retrouvés séparées de leurs réseaux familiaux et communautaires et avaient perdu leurs moyens de subsistance et les dispositifs d’aide qui les soutenaient. Dans une évaluation du niveau de sécurité alimentaire réalisée par l'ONG Plan International, qui a interrogé 140 femmes dans la province orientale de la Zambie, toutes les femmes interrogées ont rapporté que les niveaux de violence sexuelle avaient augmenté depuis le début de la crise.
"Chaque fois que la faim sévit, les filles sont souvent considérées par certaines communautés comme un fardeau" - Sitengi Namuchi, officier de police.
Sitengi Namuchi, un officier de police de l'unité de protection de l'enfance du district de Shangombo, dans l'ouest de la Zambie, a indiqué que les signalements de mariages précoces étaient devenus monnaie courante depuis que la sécheresse s’était installée, vers la fin de l'année dernière.
Comme l’explique M. Namuchi : "Les parents reçoivent des vaches et de la farine de maïs en échange de leurs filles, qu'ils considèrent comme un bien. La tranche d'âge la plus courante est 13-16 ans ... Le principal problème derrière ce phénomène est la faim. Si le problème de la faim est traité, les parents seront moins désespérés et plus de filles pourront aller à l'école au lieu d'être mariées trop jeunes."
Les mariages précoces sont étroitement corrélés aux grossesses précoces, qui peuvent avoir des conséquences graves et permanentes sur la santé des filles. Selon les évaluations disponibles, les cas de traite des êtres humains sont eux aussi en augmentation, notamment pour servir des fins de proxénétisme.
Ceux qui se battent pour protéger les filles mènent une bataille difficile. M. Namuchi a expliqué à l’OCHA, sur ce point : "Lorsque la faim sévit, les filles sont souvent considérées par certaines communautés comme un fardeau. Lors des opérations de secours [destinées à récupérer les filles mariées], les familles discutent avec les agents de police, affirmant qu'il est préférable de marier leur fille afin de les soulager d’un fardeau et de lui permettre de commencer à subvenir à ses besoins."
L'augmentation rapide du niveau d'insécurité alimentaire et les mesures désespérées prises par les familles risquent en outre d’anéantir les progrès importants réalisés dans la lutte contre le VIH.
Dans plusieurs pays, les femmes et les filles rapportent être payées davantage pour avoir des rapports sexuels sans préservatif. Les adolescentes sont déjà les plus exposées au risque de contamination par le VIH, puisqu'elles représentent plus de la moitié des personnes vivant avec le VIH en Afrique australe.
Dans le même temps, la hausse de la faim empêche de nombreuses femmes et filles séropositives de suivre leur traitement. Au Mozambique, le ministère de la santé a fait savoir que la moitié des patientes séropositives qui vivent dans les zones touchées par les cyclones Idai et Kenneth, qui se sont abattus sur le pays en 2019, ont interrompu leur suivi médical.
Florinda, qui vit dans l'une des régions du Mozambique touchées par le cyclone Idai, raconte : "Parfois, quand je n'ai rien à manger, je ne prends pas mes médicaments parce que le lendemain, j'ai l'impression que je vais m'évanouir. Tout mon corps se met à trembler, mes os, etc. J’ai des vertiges, je ressens tout ça".
Agir, collectivement, à tous les niveaux
Au milieu de cette crise, il y a de l'espoir. Les femmes et les filles qui vivent dans certaines des régions les plus durement touchées par le changement climatique et dont la voix est souvent ignorée dans les débats mondiaux et les processus d'élaboration des politiques, constituent des réseaux pour se soutenir et s'informer mutuellement sur les meilleurs moyens qu’elles peuvent utiliser pour défendre leur cause.
Elles se protègent aussi mutuellement, du mieux qu'elles peuvent, contre les risques qu’elles encourent.
Par exemple, l'ONG GenderLinks rassemble des associations de femmes de toute l'Afrique australe pour plaider auprès des décideurs politiques et des médias les causes de la prévention de la violence faite aux femmes, de la justice climatique et de l'égalité économique.
"Les femmes et les filles doivent être au centre des efforts déployés pour lutter contre la crise climatique."
L’ONU fait également sa part du travail. Dans les récentes allocations du Fonds central d'intervention d'urgence (CERF) de l'ONU, nous avons donné la priorité à la protection des femmes et des filles et investi dans des programmes l'éducation d'urgence pour que les enfants des pays les plus durement touchés d'Afrique australe aient accès à des espaces sûrs pour apprendre, grandir et espérer. Dans ce cadre, le CERF a alloué, cette année, 81 millions de dollars à la mise en œuvre de programmes dans sept pays d'Afrique australe.
Mais nous devons tous prendre d’autres mesures et le faire rapidement.
Les femmes et les filles doivent être au centre des efforts déployés pour lutter contre la crise climatique. Nous devons investir davantage dans la prévention des violences faites aux femmes et adopter une approche qui tienne compte des questions de genre dans la dispensation de soins de santé aux femmes et aux filles. Les décideurs chargés des questions d'atténuation des effets du changement climatique - au niveau des familles, des communes, des pays et de la planète - doivent écouter ce que les femmes et les filles ont à dire et, surtout, investir dans leur avenir.
Enfin, nous devons être implacables dans notre lutte collective contre l'inégalité et le patriarcat qui continuent à permettre que des femmes soient violées en allant chercher de l'eau, que des filles soient vendues d’un pays à l’autre pour être prostituées et que des familles offrent leurs filles en mariage pour survivre à une crise.
Sans ces actions, les ravages provoqués par la crise climatique s’amplifieront. Et le visage de la crise continuera d’être résolument féminin.
Article écrit par :
Mark Lowcock, Coordonnateur des secours d'urgence et Chef du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Natalia Kanem, Directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP).
Cet article a été publié à l'origine par The New Humanitarian, une agence de presse spécialisée dans l'information sur les crises humanitaires. Traduit en français par le Bureau de la coordination des activités de développement (BCAD).