Des parcours migratoires sûrs et équitables pour les travailleuses du Myanmar
"Les femmes portent la moitié du ciel", dit le proverbe. Une chose est certaine : les envois de fonds des travailleuses migrantes sont un soutien pour l'économie de nombreuses régions rurales du Myanmar.
Alors que le monde est focalisé sur la pandémie mondiale de violence envers les femmes et les filles, de nombreuses femmes migrantes du Myanmar sont bloquées à l'étranger, dans l’impossibilité de rentrer dans leur pays à cause de la fermeture des frontières. Beaucoup plus nombreuses encore sont celles qui travaillent de longues heures dans les usines, les plantations, les fermes, les maisons, sur les chantiers de construction, dans les établissements de soins, les hôtels, ou encore les magasins. Les travailleuses du Myanmar à l'étranger, dont le nombre dépasse le million, ont des histoires personnelles diverses, inspirantes et émouvantes, passionnantes et ordinaires, parsemées de dangers et d’épisodes plus sûrs. C'est dans ce contexte que l'Organisation internationale du Travail (OIT), l'Organisation internationale pour les migrations (IOM) et ONU Femmes ont uni leurs forces pour faire des parcours migratoires de ces femmes une expérience sûre, équitable, satisfaisante et enrichissante.
Comme la Banque mondiale et d'autres organisations l'ont montré à plusieurs reprises, les migrations au niveau mondial ont permis à des millions de personnes de sortir de la pauvreté et ont stimulé la croissance économique. Dans la seule Asie du Sud-Est, on estime à 20,2 millions le nombre de travailleurs migrants. Parmi eux, on estime à près de 6,9 millions le nombre de personnes qui migrent vers les pays voisins. Selon le ministère du travail, de l'immigration et de la population, plus de 4 millions de ressortissants du Myanmar, dont un tiers de femmes, travaillent à l'étranger, mais le nombre de personnes qui migrent en dehors des circuits officiels est beaucoup plus élevé. Les migrations profitent à la fois aux pays d'origine et de destination. Pour le Myanmar, où 25 % de la population est composée de migrants internationaux ou internes, les données de la Banque mondiale montrent que les transferts de fonds des migrants s'élevaient à 2,8 milliards de dollars en 2019, soit 4% du PIB du pays.
Si les migrations peuvent avoir un impact économique positif, elles ne se font pas toujours dans de bonnes conditions de sécurité. Cela rend les migrants et en particulier les femmes vulnérables à la différentes formes de violence, à différents moments de leur parcours.
Les femmes migrantes peuvent être exploitées par des recruteurs de main-d'œuvre, des passeurs, des contrebandiers, des trafiquants, des employeurs ou d'autres employés, avant leur départ, pendant leur voyage, ou dans leur pays de destination. Dans de nombreux cas, leur situation est aggravée davantage encore par le fait qu’elles n’ont pas la possibilité de demander de l'aide en raison de la barrière linguistique ou d’un déficit plus général d’accès à l’information et aux dispositifs d’aide. Plus les femmes migrantes sont dépendantes de leur employeur - en particulier lorsque ces derniers sont sans scrupules - plus leur situation devient désespérée. Si les filières migratoires sûres et légales sont limitées, alors les femmes sont tentées de migrer de manière illégale, ce qui les expose à des situations où elles pourraient avoir besoin d’aide sans pouvoir en trouver.
En réalité, la violence à laquelle les femmes migrantes sont confrontées au cours de leur parcours migratoire est le résultat d’une inégalité entre les sexes elle-même liée à des principes patriarcaux profondément enracinés dans la société. Cet héritage affecte la capacité des femmes à tirer profit des opportunités et à se libérer de la violence. Afin de changer positivement et durablement le système, les gouvernements, les employeurs, les organisations syndicales et la société civile doivent agir pour briser le système patriarcal qui entrave la réalisation de l'égalité des sexes au Myanmar et plus largement dans la région.
Mais nous devons recourir à des moyens complémentaires pour résoudre les problèmes d’insécurité auxquels font face les femmes migrantes. Ce qui met le plus en danger ces femmes, c’est d'entreprendre un parcours migratoire par des voies informelles. Le nombre de migrants ne possédant pas les papiers officiels requis est élevé : certaines sources suggèrent qu'une majorité de ressortissants du Myanmar émigrent de façon illégale. Or, ce facteur joue un rôle prépondérant dans la mise en danger des femmes, car il les expose à plusieurs formes de violence - exploitation, mauvais traitements, harcèlement, traite et travail forcé - et ne leur offre que très peu de moyens de recours en cas de problème.
Les femmes ont besoin de pouvoir accéder à des filières migratoires plus sûres. Elles ont besoin qu’on mette en place des politiques qui s’adressent aux travailleuses et travailleurs migrants et qu’on prenne de mesures qui les protègent. Certes, il est important qu’elles puissent bénéficier avant leur départ de sessions et ateliers préparatoires et d’informations qui tiennent compte des questions de genre afin qu’elles sachent comment entreprendre leur parcours migratoire de manière sûre et équitable : ces éléments peuvent aider les travailleuses à prendre des décisions éclairées pour se protéger. Mais il est très important de rappeler également que ce n’est pas aux femmes migrantes d’assumer l’entière responsabilité de la sécurité de leur parcours et qu’il incombe aux auteurs de violences de ne pas en commettre, que les processus doivent être transparents et efficaces et que toutes les parties concernées doivent s'engager à garantir des parcours migratoires sûrs pour les femmes. À cet égard, l'accès des femmes aux services d’aide tels que les recours juridiques ou les services d’appui psychosocial doit être renforcé.
Par ailleurs, il est essentiel de s’attaquer au problème du harcèlement sur le lieu de travail et à la culture de l'impunité dont bénéficient encore les auteurs d’actes de harcèlement. Cela est déterminant pour le bien-être des travailleuses migrantes. Les emplois qui sont principalement occupés par des femmes (emplois domestiques, industrie du spectacle, etc.) ne sont souvent pas reconnus par le droit du travail ni valorisés par la société. Il faut que cela change.
Compte tenu des bénéfices qu’ils tirent des migrations, les pays de destination devraient aider les migrants dans leur parcours et prévoir des mécanismes pour les protéger de ceux qui cherchent tirer profit de leur vulnérabilité. Les femmes migrantes exploitées, maltraitées et totalement dépendantes de leur employeur ou de leur trafiquant se sentent souvent impuissantes, dans l’incapacité de parler à qui que ce soit, de se battre, ou d'entreprendre une quelconque action, de crainte que cela ne leur fasse perdre leur emploi ou les expose aux conséquences judicaires d’un parcours migratoire entrepris illégalement.
L'un des facteurs qui contribuent le plus à rendre les femmes migrantes vulnérables est le sentiment du devoir qu’elles éprouvent envers leur famille. Ce sentiment les pousse à vouloir subvenir aux besoins de leurs parents, de leurs frères et sœurs et des autres membres de la famille, même si c’est à leurs dépens. La transformation des rôles traditionnels des hommes et des femmes est donc nécessaire pour l'autonomisation et la protection des femmes contre les migrations à risque. Dans le même temps, le fait de migrer peut aider les femmes à acquérir une plus grande indépendance financière et une plus grande confiance en elles et leur offrir les moyens de sortir du rôle qui leur est attribué par la tradition. Migrer peut donc aussi faciliter l'autonomisation des femmes à condition que des mesures de protection renforcées soient prises pour leur permettre de migrer en toute sécurité.
Certains de ces problèmes - notamment la charge de soins accrue que doivent assumer les femmes envers les autres - ont été amplifiés par la pandémie de COVID-19. Depuis avril, on estime qu’au total, 180.000 migrants, dont plus de 40 % de femmes, sont rentrés chez eux au Myanmar. Dans le monde entier, les gens ont eu peur que les migrants leur transmettent la COVID-19 et ont développé une hostilité vis-à-vis d’eux qui en a forcé certains à se cacher et à ne pas demander d’aide même lorsque celle-ci était disponible, ce qui les a rendus encore plus vulnérables au risque de contamination et aux risques associés.
L'un des principaux problèmes auxquels sont confrontés les migrants de retour dans leur pays est la perte de revenus qu’ils subissent pour une période prolongée et indéterminée. Cette situation affecte les migrants eux-mêmes, mais aussi leurs familles qui dépendent de ces revenus. Outre les difficultés liées à la pauvreté, cette insécurité économique est également synonyme, pour les femmes migrantes de retour, d’une vulnérabilité qui peut les exposer à la violence de genre, notamment à la violence domestique. Au niveau mondial, une augmentation très préoccupante des actes de violence domestique a été enregistrée depuis le début de la pandémie de COVID-19. Pour les femmes qui subissent la violence de leur mari ou d'autres hommes de la famille, les restrictions de déplacement et les mesures de distanciation sociale ont eu pour conséquence d’isoler ces femmes, qui se sont retrouvées confinées chez elle sans aucun moyen de s'échapper ou de demander de l'aide. Au Myanmar, le réseau pour l'égalité des sexes a d’ailleurs été contacté par des femmes qui se sont retrouvées dans cette situation.
Il est à noter qu’au Myanmar, les femmes et les organisations de la société civile (OSC) ont joué un rôle essentiel en tant que leaders et intervenants de première ligne pour défendre et faciliter le retour des migrants - femmes et hommes – au pays en toute sécurité. Il est primordial que ces femmes et ces OSC soient pleinement soutenues pour être en mesure d'apporter une aide adaptée aux migrants de retour et d’aider notamment les femmes enceintes, les mères et les enfants à trouver un refuge en ces temps de précarité économique. Certains migrants de retour contribuent eux aussi à ces efforts en prenant part aux interventions mises en œuvre dans les centres de quarantaine où ils sont eux-mêmes logés.
Les femmes migrantes du Myanmar comblent d’énormes besoins sur le marché du travail en assumant des rôles essentiels, notamment dans les secteurs du travail domestique, des soins et de l’accueil des personnes. Leur importance reste pourtant sous-estimée : elles gagnent souvent moins que leurs homologues masculins et sont confrontées à des actes d’exploitation, d'extorsion et de violence de genre.
Les femmes jouent un rôle central dans la société du Myanmar et dans son développement économique. Nous espérons qu'ensemble, nous pourrons faire en sorte que la contribution des femmes migrantes du Myanmar - tant dans leur pays qu’à l'étranger - soit saluée, reconnue et appréciée à sa juste valeur, et que nous pourrons créer des environnements propices qui permettent à ces femmes fortes et ambitieuses de trouver des perspectives de travail sûres pour elles-mêmes et leur famille.
Il est temps d'accélérer nos efforts collectifs pour mettre un terme aux inégalités structurelles qui génèrent la violence faite aux femmes migrantes du Myanmar et sont à l’origine de leur exploitation et de leur marginalisation.
Article produit par l’ONU au Myanmar et publié à l'origine en anglais sur le site de l’ONU au Myanmar le 10 décembre 2020. Pour en savoir plus sur l’action menée dans le pays, consultez le site https://myanmar.un.org/.